mardi 26 novembre 2013

Quand le loisir n'est plus agréable

Parce que malheureusement, ça arrive...  Pas souvent, mais parfois.  C'est l'histoire de monsieur Chose-Bine:

Monsieur Chose-Bine est le genre de résident grognon, pas grognon dérangeant ou désagréable en activité mais disons que ce n'est pas un grand bavard ni monsieur Sourire!   C'est un ancien cultivateur veuf de 95 ans, qui a élevé sept enfants.  Pour son âge, on peut dire qu'il est en grande forme car il se déplace à une vitesse impressionnante avec sa marchette!

C'est probablement le résident qui participait le plus aux activités du centre.  Il était toujours présent; bingo, pétanque, film, poches, sortie, repas communautaire, bricolage...  On n'avait qu'à lui dire où et quand, il était au rendez-vous!

Monsieur Chose-Bine était un de ceux qui sont autorisés à circuler librement dans le centre et dans la cour.  Étant un fumeur, quand il n'était pas à sa chambre ou aux activités, on le trouvait au fumoir.  L'été, il pouvait aussi être dans la cour.  Toujours sur la trotte!

En plus de ses journées bien remplies, monsieur Chose-Bine a un de ses fils qui vient le voir tous les jours, sans exception.  Fils a une légère déficience intellectuelle mais est très présent pour son père et s'en occupe comme le ferait une mère!  Fils regarde le calendrier des activités et réserve toujours une place pour son père aux sorties, nous appelle presque tous les matins aux loisirs pour s'assurer qu'on n'oublie pas d'aller chercher son père pour l'activité prévue aujourd'hui et salue tout le personnel sans oublier personne à son arrivée.

Depuis environ un mois, son comportement à dramatiquement changé. Il peut facilement passer quinze minutes dans l'ascenseur à ne pas savoir à quel étage se trouve le fumoir ou sa chambre.  Il oublie sa marchette dans une pièce et passe des heures à la chercher par la suite.  Aux activités, il s'inquiète de savoir où se trouve sa voiture et affirme que sa femme l'attend chez lui.  D'ailleurs, lors de la dernière sortie à laquelle il a participé, il ne voulait rien savoir d'embarquer dans l'autobus car c'est sa voiture qu'il cherchait dans le stationnement.  Il devient agressif quand on le contredit car dans sa tête, il n'habite pas au centre, mais dans sa maison!  Participer aux activités le stresse maintenant beaucoup trop, il angoisse.

Quand il remonte à son étage, il est très agressif avec les autres résidents et le personnel.  D'un commun accord avec l'équipe de soin, il a été convenu que monsieur Chose-Bine porterait maintenant un bracelet l'empêchant de prendre l'ascenseur seul (une alarme sonne quand il y entre et on doit composer un code pour activer l'ascenseur) et qu'il ne participerait plus aux activités qui ne se font pas à son étage.

C'est bien triste pensez-vous en cet instant...  Mais dites-vous que ce genre de décision n'est jamais prise sur un coup de tête.  C'est une décision prise en équipe interdisciplinaire; travailleur social, infirmière, physiothérapeute, technicien en loisirs...  Même le docteur a été consulté dans ce cas.  De toute façon, monsieur Chose-Bine ne pense plus du tout à se divertir ces temps-ci...

Dites-vous également que celui qui souffre le plus de cette décision, ce n'est pas lui, c'est son fils car il est convaincu que son père va s'ennuyer...  Il a fallu lui expliquer souvent et de bien des manières vu son léger retard.  Le premier matin, l'infirmière le rencontre et lui explique le fonctionnement du bracelet anti-fugue et la nouvelle règle à suivre.  Quelques minutes plus tard, je vais animer un jeu à cet étage.  À la fin de mon activité, j'annonce aux résidents qu'il y a un spectacle dans la grande salle dans l'après-midi et Fils me rappelle de ne pas oublier son père car il aime la musique.  Décidément, il n'a pas compris!

Le lendemain, un message sur ma boîte vocale de Fils me demande d'aller chercher son père pour l'activité prévue dans l'après-midi parce que ce dernier ne peut plus prendre l'ascenseur tout seul...  Il ne comprend donc toujours pas tout à fait!  Comme Fils quitte le centre avant l'heure de mon activité, je ne vais pas chercher monsieur Chose-Bine.

Le surlendemain, Fils m'appelle et me demande d'aller chercher son père pour l'activité de l'après-midi et me demande par la même occasion pourquoi je ne suis pas allé le chercher la veille.  Alors je lui explique encore une fois (après l'explication de l'infirmière, de ma collègue et de la travailleuse sociale) que son père ne retire plus aucun plaisir aux activités qui ne sont pas sur son unité car ça le stresse.  Qu'il pourra toujours participer à tout ce qui se fait à l'étage.  Et plus pour lui donner un peu d'espoir, j'ajoute que dans quelques mois, s'il va mieux, on pourra toujours le réintégrer à toutes les activités.  Mais honnêtement, je doute qu'à son âge vénérable ça se produise.

Aujourd'hui, on a fait ce qu'on appelle un Plan d'Intervention.  L'équipe de soin s'est réunie avec deux des fils de monsieur Chose-Bine pour leur expliquer officiellement les décisions qui ont été prises pour leur père et répondre à toutes leurs interrogations et inquiétudes.

C'est toujours plus difficile pour les membres de famille que pour le résident lui-même ce genre de situation.  Ça s'est tout de même très bien déroulé.  Ses fils ont finalement bien compris que nous agissons dans l'intérêt de monsieur Chose-Bine, ça fait beaucoup de choses à accepter et à comprendre pour eux.

Bref, le loisir est là pour divertir les résidents et leur procurer du bonheur mais quand le loisir devient une  source de stress et d'angoisse, il est effectivement plus délicat de ne plus offrir d'activité à ce résident.  Heureusement que ce genre de situation n'arrive pas régulièrement!

2 commentaires:

  1. Je dois dire quand lisant ton texte je me suis vue au travail vivant la même chose avec mes collègues et nos résidents. Je trouves toujours surprenant comment la maladie peut changer une personne en peu de temps. C'est notre réalité de travail et sans oublier que malgré le fait que nous sommes la pour les résidents, nous sommes aussi la pour leurs familles...

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  2. En effet! J'avais encore un message de Fils sur ma boîte vocale ce matin. Il nous demande de trouver une nouvelle routine pour son père. Il veut qu'on lui envoie plein de bénévoles pour ''l'entertainer''. J'en ai trouvé un qui veut bien, mais je doute que monsieur Chose-Bien veuille jouer aux cartes... Il va juste demander au bénévole où est sa voiture. Mais Fils ne peut pas comprendre... Heureusement que son frère comprend!

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