dimanche 6 octobre 2013

Acceptable ou immoral?

Laissez-moi vous raconter une histoire:

Monsieur et Madame D'amour sont mariés depuis maintenant 55 ans.  Ils ont cinq enfants, treize petits-enfants et depuis peu, un arrière-petit-fils.  La vie n'a pas toujours été facile pour eux, ils ont eu leurs hauts et leurs bas, mais comme ils se sont toujours aimé très fort, ils sont toujours passé aux travers des crises.

Depuis environ une dizaines d'années, la santé de Madame D'amour a été très affectée.  Au début, c'était de petits oublis rigolos, ranger le lait dans l'armoire, mettre ses clés dans le pot à biscuits.  On pouvait facilement attribuer ces actes à de la distraction.  Après tout, depuis sa retraite, elle n'arrêtait pas un instant!  Garder les petits-enfants, faire du bénévolat auprès des plus démunis, voyager avec son mari, participer aux réunions du club de tricot du centre communautaire...

Puis les petits oublis sont devenus de gros oublis.  Oublier de fermer le four et partir pour la journée, oublier le chemin pour revenir à la maison, et de plus en plus souvent, oublier l'heure de la journée...  Les nuits sont vites devenus des cauchemars pour Monsieur D'amour qui se réveillait toujours en même temps que sa femme pour éviter qu'elle ne se blesse ou sorte pieds nus dans la rue en plein mois de janvier.  Après deux ans de ce régime, les enfants et lui se sont réunis et en sont venus à la difficile et triste conclusion de placer Madame D'amour en CHSLD pour sa sécurité et pour la santé de leur père.

C'est donc ce qui a amené Madame ici, il y a un peu plus d'un an maintenant.  Son mari, qui l'aime toujours vient la visiter immanquablement tous les jours sans exception depuis qu'elle habite ici.  Il l'accompagne parfois aux activités, lui amène des gâteries, s'assure qu'elle ait tout ce dont elle a besoin et qu'elle soit bien traitée.  Monsieur D'amour vient donc voir sa femme au minimum deux heures tous les jours depuis plus d'un an, seulement Madame D'amour elle, ne le reconnaît plus...

Madame D'amour régresse tandis que l'Alzheimer lui, progresse.  Les périodes de lucidité sont passées de très peu fréquentes à son arrivée à inexistantes aujourd'hui, au grand désespoir de son mari et de sa famille.  Madame D'amour sait qu'elle est mariée cependant, c'est le beau jeune homme dans la vingtaine qu'elle a épousé qu'elle attend près de sa fenêtre tous les jours.  Elle ne reconnait pas son homme dans les traits du vieillard qui vient la voir tous les après-midis.

Monsieur D'amour, étant un homme de son époque, a de la difficulté à vivre seul malgré toute l'aide qu'il reçoit de ses enfants et de ses petits-enfants.  La solitude lui pèse quand tout le monde repart après un souper familial ou qu'il rentre chez lui après une visite à sa femme.  Il y a quelques mois, il a rencontré une charmante veuve récemment emménagée dans son immeuble.  Elle est d'agréable compagnie, ils font des sorties ensemble, s'appellent et se visitent régulièrement.

La femme du voisin de chambre de Madame D'amour les a vus marcher main dans la main hier soir sur la rue.  Elle était tellement choquée du comportement de Monsieur D'amour qu'elle en a parlé à tout le monde au Centre ce matin en arrivant; le personnel, les résidents de l'étage, les bénévoles et même aux autres visiteurs!  Heureusement que Madame D'amour n'est pas en mesure de comprendre que tout le monde ne parle que de son mari depuis ce matin!

Il s'agit d'un cas réel, d'une situation dont j'ai été témoin plus d'une fois.  Les rôles de la femme et du mari peuvent très bien être inversés.  Monsieur D'amour a marié sa belle pour le meilleur et pour le pire.  Le pire étant arrivé, il continue de lui être dévoué même si elle n'a aucune idée de qui il est pour elle.  Est-ce acceptable que Monsieur continue de s'occuper religieusement de sa femme tout en en  fréquentant une autre?  Ou bien est-ce immoral de penser qu'il passe du bon temps avec une femme pendant que la sienne est encore bien vivante et qu'ils ne sont pas séparés?

Ça porte à réfléchir n'est-ce pas?