jeudi 25 juillet 2013

Le bingo

Un incontournable en centre d’hébergement n’est-ce pas?  Je connais très peu (voir aucune) résidence pour personnes âgées qui n’organise pas au moins un bingo par mois.  De plus, on dirait qu’il s’agit toujours de l’activité où on a le plus de bénévoles pour nous aider!
 
C’est une activité que la majorité des résidents apprécie, facile à organiser et qui roule pratiquement toute seule.  Bref, un must comme on dit.  Mais croyez-vous vraiment qu’il s’agisse d’une activité dénuée d’objectifs à atteindre?  D’une activité quétaine ne représentant aucun défi pour la clientèle?  Laissez-moi vous décrire une activité de bingo typique en CHSLD.  À quelques détails près, c’est comme ça que ça se passe partout.  Vous saurez me dire par la suite si vous avez toujours la même vision du bingo.
 
D’abord, comme c’est une activité très populaire, on calcule facilement de 30 à 60 minutes pour aller chercher tous les participants, dépendant de l’emplacement de la salle d’activité.  On entasse tout ce beau monde de la façon la plus logique possible (ceux qui ont besoin d’aide près d’un bénévole, ceux qui doivent voir le tableau face au tableau, ceux qui doivent être près du ‘’calleur’’ pour bien entendre les numéros, ceux qui ont leur place ‘’attitrée’’, ceux qui veulent absolument être assis à côté de leurs amis…) dans une salle parfois non climatisée (comme c’est le cas où je travaille) même s’il fait 45o Celcius avec l’humidité.
 
Dépendant si le bingo est payant ou non, il faut gérer la caisse.  On doit prendre l’argent de Mme Unetelle dans son compte, M. Machin-chouette paie de ses poches, M. Manche-de-pelle est convaincu qu’il nous a déjà payé mais ce n’est pas le cas, Mme Marie-quatre-poches est triste parce qu’elle voulait jouer avec trois cartes mais la limite c’est deux cartes par personne…
Si vous avez déjà été dans une ‘’vraie’’ salle de bingo, oubliez tout de suite l’image que vous en avez.  En CHSLD, on joue avec des cartes adaptées (sauf peut-être quelques centres qui font exception).  Ce sont des cartes avec des petites portes que l’on ferme au lieu de mettre des ‘’pitounes’’ qui se retrouveront toutes par terre à la fin du jeu.
 
Les tours en T, en X ou en L sont des notions beaucoup trop difficiles à saisir pour nos résidents.  On se contente des quatre coins, de la ligne et de la carte pleine et c’est encore parfois trop complexe.  Oubliez également le débit rapide du ‘’calleur’’.  Chez nous, on prend le temps d’articuler comme il faut les numéros et on prend soin aussi de bien les répéter deux fois (parfois plus selon la demande!).  O souassante et quinze, O sept-cinq.  Elle a dit O soixante-treize?  En callant, on a aussi droit à toutes blagues universelles de bingo du genre :  B sept.  Hey, c’est le frère André!  (Bessette…)  O soixante-six.  Saucisse!  O soixante-neuf.  Le chiffre cochon!  Vous voyez le genre?
 
Les joueurs maintenant.  Il y a les personnes qui ont besoin d’aide et qui se font aider par les intervenants ou les bénévoles.  Parfois à cause d’un handicap visuel ou auditif ou encore à cause de troubles cognitifs.  Notre rôle consiste alors à leur indiquer avec notre doigt le numéro qui vient d’être nommé et le résident ferme la petite porte lui-même s’il en est capable.
 
À ce sujet, il n’y a rien qui m’enrage le plus que les personnes qui jouent à la place des résidents quand ceux-ci en ont encore la capacité!  Je sais que parfois c’est dans l’unique pensée d’aider mais expliquez-moi alors quel est le but de venir au bingo si on ne fait que rester assis les bras croisés sur la poitrine et regardé quelqu’un d’autre fermer les portes de sa propre carte?  Parce qu’imaginez-vous que le bingo en CHSLD, c’est une activité de stimulation cognitive!  En effet, il faut chercher le chiffre nommé sur sa carte, garder en mémoire quel bingo on fait (ligne, carte pleine…) et vérifier si on a un bingo ou non.  De plus, nous sommes là pour aider les résidents à garder le plus d’autonomie possible, par des gestes aussi minimes que de fermer eux-mêmes la porte de leur carte de bingo.
 
J’ai toujours en tête l’image de Mme Marie-quatre-poches qui est un peu confuse mais tout à fait capable de jouer au bingo toute seule.  Une jeune bénévole est assise à côté d’elle.  Dans ce centre, ils sont super bien équipé pour le bingo, ils possèdent un tableau lumineux, comme dans les vraies salles de bingo ainsi qu’un téléviseur qui affiche la boule suivante.  La bénévole regarde la télévision et ferme toujours la porte sur la carte de Mme Marie-quatre-poches avant que ce numéro ne soit nommé.  Alors quand le ‘’calleur’’ nomme le numéro suivant, Mme Marie-quatre-poches s’écrit chaque fois : ‘’Hey, je l’ai!  Mais il est déjà fermé…’’  Et la bénévole de lui répondre :  ‘’Oui c’est moi qui l’ai fermé.’’  Et Mme Marie-quatre-poches, la mine triste : ‘’Comment tu savais qu’il serait nommé?  Tu le devines tout le temps?’’  Parce que Mme Marie-quatre-poches est placée dos au téléviseur et ne comprend pas qu’on puisse voir le chiffre suivant sur l’écran.  Mais elle est parfaitement capable de jouer en entendant seulement le ‘’calleur’’.
 
Dans les cas des résidents confus, souvent on doit leur laisser une carte fictive.  C’est-à-dire qu’on leur donne une carte pour qu’ils aient l’impression de jouer eux-mêmes mais on donne une carte réelle au bénévole ou à l’intervenant qui l’accompagne et c’est cette carte qui comptera pour que le résident gagne ou non.  Parce que Mme Unetelle passe son temps à ouvrir et fermer les portes de sa carte, même si on lui répète que ce n’est pas le numéro qui vient de sortir.  On s’y perd nous-mêmes au bout de très peu de temps et ça donne de faux bingo.
 
Un autre type de joueur, c’est le résident qui n’est pas trop conscient d’où il se trouve et ce qu’il fait en ce moment.  Parfois, on descend nous-mêmes ce genre de résident parce qu’ils ne sont pas dérangeant et que c’est plus agréable d’être entouré de gens que seul dans un couloir.  Mais il y a aussi les résidents un peu plus ‘’dérangeant’’ que le personnel des unités de vie nous suggère fortement d’amener à l’activité.   On peu comprendre qu’ils veulent un peu de répit à l’étage et c’est un peu notre rôle aussi mais imaginez l’ambiance quand Monsieur Chose crie à tue-tête HEY CÂLISSE!  Entre deux numéros…
 
Le dernier type de joueur est celui qui adore le bingo et qui est parfaitement lucide.  Ceux-là trouvent ça souvent pénible que ça crie, qu’on répète, qu’on prenne notre temps.  Ils ne sont pas toujours en mesure non plus de comprendre que Monsieur Chose ne fait pas exprès de crier pendant le bingo et ça peut donner lieu à des échanges pas très joyeux.  ‘’HEY CÂLISSE!!’’  ‘’Ah ferme donc ta yeule toé!’’  ‘’HEY CÂLISSE!’’  ‘’Remonte donc en haut maudit fatiguant!’’.  Et je reste polie dans le choix de mes mots…  Bref, pas facile d’apprendre à vivre en collectivité.
 
Ensuite quand il y a un gagnant, on vérifie s’il s’agit d’un bon bingo.  Bon, c’était un faux bingo parce que la personne avait fermé une case que le ‘’calleur’’ n’avait pas nommé donc on poursuit.  Évidement, quelques participants ont malheureusement déjà défait leur carte…  Si non, tout est beau, le bingo est bon, on donne le cadeau (ou les sous) au gagnant et on demande de défaire les cartes.  On leur laisse assez de temps pour le faire, on les aide, on vérifie que c’est bien fait partout et on recommence.  Après deux numéros, le bingo est appelé par M. Manche-de-pelle qui avait oublié de défaire sa carte.  C’est inévitable!
           
Puis quand le bingo est terminé, tout ce beau monde se bouscule pour retourner le plus rapidement possible à sa chambre.  Remonter une cinquantaine de résidents quand il n’y a qu’un seul ascenseur dans lequel on peut entrer quatre fauteuils roulants à la fois peu prendre facilement un autre 30 à 60 minutes.  Et il faut parfois, malgré leurs âges, jouer à la police parce qu’ils se bousculent pour passe avant, s’obstinent pour garder leur priorité dans le rang et quelques uns essaient même à l’occasion de nous soudoyer pour qu’on les laisse passer en premier.
 
Alors voilà un bingo typique en CHSLD.  Ça a l’air d’être pénible expliqué comme ça, mais c’est tout de même une activité agréable puisque presque tout le monde aime jouer au bingo.  N’empêche que je voulais démentir la rumeur disant que le bingo n’est qu’un jeu de chance.  J’espère qu’à la lumière de ces explications, vous comprenez maintenant que le bingo fait travailler les fonctions cognitives chez les personnes âgées.
 
Devinez à quoi j’ai joué aujourd’hui?!

3 commentaires:

  1. Ouf! C'est essoufflant! ;o)

    Mais pourquoi personne ne dit à la bénévole de ne pas jouer à la place de la personne âgée qui pourrait jouer elle-même?

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  2. Il faut toujours traiter les bénévoles de façon très délicate... Ils sont une race en voie d'extinction et si on ne veut pas perdre les rares personnes dévouées qu'il nous reste, vaut mieux bien choisir ses mots! La bénévole en question avait été avisée la semaine suivante. Maintenant elle fait attention de ne pas jouer pour le résident quand celui-ci est capable de le faire. Et je sais que son intention n'était pas mauvaise quand elle le faisait!

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  3. Oui,je comprends. Il faut faire preuve de doigté.

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